jeudi 20 mars 2014

A Bialowieza, les pics sont les rois !



S’il y a bien une famille d’espèces qui tire partie de la non-gestion dans la réserve stricte de Bialowieza, c’est bien celles des Picidés, qui regroupe les différentes espèces de pics.
En effet, la forêt de Bialowieza leur offre un habitat de grande qualité :

1/ Pour se loger :
Les pics utilisent généralement des cavités qu’ils creusent pour nidifier. Elles sont généralement à plus de 7 mètres du sol, dans un arbre sain et de diamètre important.
Chaque espèce a ses préférences, mais la forte proportion de bois de gros diamètres et la diversité d’espèces dans la forêt de Bialowieza crée de nombreux habitats potentiels !
Ainsi, dans la zone intégralement protégée, les cavités nidifiables sont au nombre de 78 par hectare, alors qu’en France, dans un taillis-sous-futaie dont les arbres sont âgés de 120 à 180 ans (peuplement où la densité de cavités est maximale), on n’en recense qu’une dizaine (Pautz, 1998).

2/ Pour se nourrir :
Les pics se nourrissent d’insectes, notamment de larves et de nymphes situées sous l’écorce des arbres ou dans le bois. Les résineux colonisés par les scolytes (Coleoptera, Scolytidae), sont particulièrement recherchés par les pics, alors qu’ils sont aussi particulièrement fréquents dans la réserve stricte !
Pic épeiche observé dans le Parc de Bialowieza, ici sur robinier (Robinia pseudo-acacia)

Tronc d'épicéa attaqué par un pic noir
Attention, même si les arbres morts abritent de nombreuses proies pour les pics, ces derniers s’attaquent parfois aux arbres vivants :
Le Pic noir, par exemple, recherche des colonies de Fourmis charpentières (Camponotus herculeanus) qui vivent à l’intérieur des troncs de Sapin ou d’Épicéa.
Ces fourmis creusent le bois parfois jusqu’à dix mètres au-dessus du sol, tout en respectant l’aubier, laissant l’arbre attaqué vivant et en apparence en pleine santé (du moins avant que le pic ne s’y attaque à son tour). 
Pour atteindre ces fourmis bien cachées, le pic noir doit creuser des trous très profonds et très larges : ceux-ci peuvent atteindre 70 cm de long et 10-15 cm de large ! (Bang et Dahlström, 1991 ; La Hulotte, 2002b).


Le Pic noir peut aussi coincer dans les fentes de l’écorce d’un gros chêne des cônes de Pin ou d’Épicéa, qu’il épluche pour consommer les graines !

Autre habitude intrigante, les pics peuvent aussi se nourrir de sève qu’ils lèchent au printemps. Pour cela, ils creusent des trous et sirotent la précieuse liqueur !
M.Bartoli et P.Legrand (2005) rapportent les propos de Clergeau et Chefson (1988) dans leur article, qui décrivent ce comportement :
« Le Pic épeiche est fortement attiré par la résine et la sève sucrée riche en acides aminés. […] Sur certains troncs, il trace des lignes horizontales de trous qu’il revient visiter journellement. Il lèche la sève qui s’écoule de ces perforations profondes et ingère les nombreux petits insectes qui s’y sont englués. Ces couronnes de perforation, qui deviennent à terme de véritables anneaux, par réaction de l’arbre, ressemblent tout à fait à la collecte de la résine effectuée par l’homme. Un même arbre peut être exploité pendant plusieurs années et les bourrelets de cicatrisation sont d’autant plus importants que l’arbre est attaqué depuis longtemps. Le Pic épeiche exploite non seulement les conifères, mais aussi le Tilleul, le Hêtre, et même le Chêne ou le Charme ».

Quand on voit l’abondance d’habitats et de nourriture potentielles pour les pics, on imagine d’énormes quantités de pics dans la réserve stricte.
Or, il n’en est rien.



En effet, malgré l’apparente hospitalité des lieux, les densités d’oiseaux sont relativement faibles (Tomialojc, et al. 1984, Wesolowski et al. 2003).
Ce phénomène, difficile à expliquer, semble provenir du fait que la diversité des prédateurs est elle aussi élevée, au même titre que la diversité en espèces d’oiseaux. La mortalité des couvées serait donc élevée et empêcherait d’obtenir une densité élevée d’oiseaux.

A cette pression s’ajoute la relative faible surface de la réserve stricte, qui ne permet pas de fiabiliser les populations.
En effet, les zones gérées en périphérie de la réserve stricte ont des conséquences néfastes sur les habitats de pics, et si ces pics ne parviennent pas à nicher dans la zone gérée, à moyen terme ces espèces disparaîtront aussi de la réserve stricte, selon le Parc national.
A titre d’exemple, le Pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) a vu sa fréquence d’apparition diminuer de 2/3 entre 1991 et 2005 dans la forêt exploitée. (Czeszczewik et Walankiewicz, 2006).

Ces observations questionnent en profondeur la philosophie des espaces protégés proposée par Falinski (ancien directeur de la station de recherche Bialowieza), au sein de laquelle on garderait des zones exclusivement dédiées à la protection et d'autres exclusivement dédiées à la production de bois pour alimenter l'industrie. 
L'importance des zones non-protégées et exploitées ne doit pas être négligées, et leur gestion doit répondre à d'autres enjeux que celui de la stricte production de bois... Mais ceci est un autre débat..

Pour aller plus loin :
P. LEGRAND, M. BARTOLI (2005), Des pics et des arbres, Rev. For. Fr. LVII - 6-2005, 12 p.

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