S’il y a bien une
famille d’espèces qui tire partie de la non-gestion dans la réserve stricte de
Bialowieza, c’est bien celles des Picidés, qui regroupe les différentes espèces
de pics.
En effet, la
forêt de Bialowieza leur offre un habitat de grande qualité :
1/ Pour se loger :
Les
pics utilisent généralement des cavités qu’ils creusent pour nidifier. Elles
sont généralement à plus de 7 mètres du sol, dans un arbre sain et de diamètre
important.
Chaque
espèce a ses préférences, mais la forte proportion de bois de gros diamètres et
la diversité d’espèces dans la forêt de Bialowieza crée de nombreux habitats
potentiels !
Ainsi,
dans la zone intégralement protégée, les cavités nidifiables sont au nombre de
78 par hectare, alors qu’en France, dans un taillis-sous-futaie dont les arbres
sont âgés de 120 à 180 ans (peuplement où la densité de cavités est maximale), on
n’en recense qu’une dizaine (Pautz, 1998).
2/ Pour se
nourrir :
Les
pics se nourrissent d’insectes, notamment de larves et de nymphes situées sous
l’écorce des arbres ou dans le bois. Les résineux colonisés par les scolytes (Coleoptera, Scolytidae), sont
particulièrement recherchés par les pics, alors qu’ils sont aussi
particulièrement fréquents dans la réserve stricte !
Pic épeiche observé dans le Parc de Bialowieza, ici sur robinier (Robinia pseudo-acacia) |
Tronc d'épicéa attaqué par un pic noir |
Le
Pic noir, par exemple, recherche des colonies de Fourmis charpentières (Camponotus herculeanus) qui vivent à l’intérieur
des troncs de Sapin ou d’Épicéa.
Ces
fourmis creusent le bois parfois jusqu’à dix mètres au-dessus du sol, tout en
respectant l’aubier, laissant l’arbre attaqué vivant et en apparence en pleine
santé (du moins avant que le pic ne s’y attaque à son tour).
Pour
atteindre ces fourmis bien cachées, le pic noir doit creuser des trous très
profonds et très larges : ceux-ci peuvent atteindre 70 cm de long et 10-15 cm
de large ! (Bang et Dahlström, 1991 ; La Hulotte, 2002b).
Le
Pic noir peut aussi coincer dans les fentes de l’écorce d’un gros chêne des
cônes de Pin ou d’Épicéa, qu’il épluche pour consommer les graines !
Autre
habitude intrigante, les pics peuvent aussi se nourrir de sève qu’ils lèchent
au printemps. Pour cela, ils creusent des trous et sirotent la précieuse
liqueur !
M.Bartoli
et P.Legrand (2005) rapportent les propos de Clergeau et Chefson (1988) dans
leur article, qui décrivent ce comportement :
« Le Pic épeiche
est fortement attiré par la résine et la sève sucrée riche en acides aminés. […]
Sur certains troncs, il trace des lignes horizontales de trous qu’il revient
visiter journellement. Il lèche la sève qui s’écoule de ces perforations
profondes et ingère les nombreux petits insectes qui s’y sont englués. Ces
couronnes de perforation, qui deviennent à terme de véritables anneaux, par
réaction de l’arbre, ressemblent tout à fait à la collecte de la résine
effectuée par l’homme. Un même arbre peut être exploité pendant plusieurs années
et les bourrelets de cicatrisation sont d’autant plus importants que l’arbre
est attaqué depuis longtemps. Le Pic épeiche exploite non seulement les
conifères, mais aussi le Tilleul, le Hêtre, et même le Chêne ou le Charme ».
Quand
on voit l’abondance d’habitats et de nourriture potentielles pour les pics, on
imagine d’énormes quantités de pics dans la réserve stricte.
Or,
il n’en est rien.
En effet, malgré l’apparente hospitalité des lieux,
les densités d’oiseaux sont relativement faibles (Tomialojc, et al. 1984,
Wesolowski et al. 2003).
Ce phénomène, difficile à expliquer, semble provenir
du fait que la diversité des prédateurs est elle aussi élevée, au même titre
que la diversité en espèces d’oiseaux. La mortalité des couvées serait donc élevée et
empêcherait d’obtenir une densité élevée d’oiseaux.
A cette pression s’ajoute la relative faible surface
de la réserve stricte, qui ne permet pas de fiabiliser les populations.
En effet, les zones gérées en périphérie de la
réserve stricte ont des conséquences néfastes sur les habitats de pics, et si
ces pics ne parviennent pas à nicher dans la zone gérée, à moyen terme ces
espèces disparaîtront aussi de la réserve stricte, selon le Parc national.
A titre d’exemple, le Pic à dos blanc (Dendrocopos
leucotos) a vu sa fréquence d’apparition diminuer de 2/3 entre 1991 et 2005
dans la forêt exploitée. (Czeszczewik et Walankiewicz, 2006).
Ces observations questionnent en profondeur la philosophie des espaces protégés proposée par Falinski (ancien directeur de la station de recherche Bialowieza), au sein de laquelle on garderait des zones exclusivement dédiées à la protection et d'autres exclusivement dédiées à la production de bois pour alimenter l'industrie.
L'importance des zones non-protégées et exploitées ne doit pas être négligées, et leur gestion doit répondre à d'autres enjeux que celui de la stricte production de bois... Mais ceci est un autre débat..
Pour
aller plus loin :
P.
LEGRAND, M. BARTOLI (2005), Des pics et des arbres, Rev. For. Fr. LVII - 6-2005, 12 p.
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