jeudi 10 avril 2014

Primaire, vous avez dit primaire ?



Si l’on vous dit que nous sommes dans la forêt primaire de Bialowieza, strictement protégée, vous imaginez les grands chênes de 400 ans, les épicéas atteignant des hauteurs records, … 
Bref, vous imaginez une forêt pleine de vitalité, véritable force de la nature.
Et vous n'avez pas tort pour une grande partie de la forêt.

Mais, imaginez alors votre étonnement à la vue de certaines parcelles de la zone strictement protégée complétement ravagées :

 En effet, la parcelle ci-contre, originellement composée d’un mélange Epicéa-Pin sylvestre a vu entre 2002 et 2004 les épicéas dépérir dans leur grande majorité sous l’effet d’attaques de scolytes.

En 2011-2012, une nouvelle vague s’est attaqué aux épicéas restants. 

Les pins ont eux-aussi subi différents stress induits par la perte des épicéas alentours : coups de chaud, mise en lumière soudaine,  attaques d’insectes…

Des zones comme celles-ci font dire à certains forestiers locaux (et de mauvaise-foi) que la forêt ne survit pas si elle n’est pas entretenue par leurs soins.

Sans accorder de crédit à de telles assertions, on peut malgré tout se demander pourquoi ne pas intervenir si l’habitat que l’on protège se dégrade ?

En fait, la réponse réside dans l’objectif de conservation fixé par chaque réglementation !

Dans la zone strictement protégée, l’objectif est de conserver les processus naturels sans aucune intervention.
Ce qui fait l’objet d’une protection, ce sont tous ces mécanismes naturels de dépérissement, puis de rajeunissement de la forêt, de vieillissement, etc… Le maintien de ces phénomènes naturels peut effectivement modifier temporairement l’état d’un écosystème, mais on respecte ainsi le fonctionnement de la forêt. 

L’exemple du castor est parlant : dans certains secteurs, celui-ci peut faire varier significativement le niveau de la nappe d’accompagnement de la rivière où il vit. Ainsi, selon l’endroit où il choisit son barrage, les forêts peuvent dépérir soit par manque d’eau soit par excès d’eau, et on perd alors l’habitat forestier présent initialement.

Dans les zones de Réserves forestières en revanche, la réglementation polonaise fixe comme objectif le maintien d’un habitat particulier, pour sa rareté ou son intérêt écologique remarquable, voire patrimonial.
Dans cette réglementation, une intervention pour sauver des épicéas d’une attaque massive de scolyte serait envisageable, tout comme détruire le barrage d’un castor incongru qui menacerait un des habitats protégés ! 
Enfin, en principe, car le castor fait lui aussi l’objet d’une protection particulière, en tant qu’espèce et son habitat (dont le barrage fait partie) ne doit pas être altéré… 
On entre alors dans un casse-tête réglementaire, dont l'arbitrage reviendrait en France au CNPN, Conseil National de la Protection de la Nature.

dimanche 6 avril 2014

La fin de l'hiver, une période stratégique pour les plantes vernales de sous-bois




Notre arrivée a coïncidé avec la fin de l'hiver dans la forêt de Bialowieza. Cela nous a permis d'observer les premières floraisons des espèces de sous-bois, profitant de cette période de transition entre la rigueur de l'hiver et l'apparition des premières feuilles sur les arbres caducifoliés. Ces plantes herbacées se développent en tapis et sont dites vernales car poussant durant cette période. 




Parmi ces plantes, beaucoup sont des géophytes, dont la stratégie est basée sur la survie d’un bulbe,  d’un rhizome ou d’un autre organe de réserve sous la surface du sol en période de dormance. Dans cette catégorie, une des premières à fleurir est l'anémone des bois (Anemone nemorosa). On trouve aussi l'anémone hépatique (Hepatica nobilis), aux feuilles persistantes ainsi qu'Isopyrum thalictroides.
Anemone nemorosa
Hepatica nobilis
Isopyrum thalictroides


Pendant cette période nous avons aussi pu observer Daphne Mezereum une espèce d'arbuste protégée en Pologne

Dans les zones plus humides on trouve lgagée des bois (Gagea lutea), souvent accompagnée de l'anémone fausse-renoncule (Anemone ranunculoides) et de l'ail des ours (Allium ursinum).
Gagea lutea
Anemone ranunculoides


L'ail des ours, qui fleurira d'ici quelques semaines, forme aussi d'immenses tapis au coeur de la réserve, dans les endroits plus humides.
Tapis d'Allium ursinum
Enfin nous avons découvert une plante un peu particulière : la lathrée écailleuse, qui n'a ni feuilles ni chlorophylle! En effet c'est un parasite de divers arbres, elle puise sa nourriture dans les racines de ses hôtes grâce à des suçoirs.

Lathraea squamaria


samedi 5 avril 2014

Un peu de (bio)géographie...



Avant de pouvoir regarder plus en détails les caractéristiques de la forêt de Bialowieza, il faut regarder le plus vaste et le plus significatif des facteurs environnementaux : le climat.

Et le climat dans ce coin de la Pologne est sensiblement différent du nôtre ! Sans atteindre les températures extrêmement rudes de Russie, le climat est sensiblement plus froid qu’en France.
Il est dit Continental sous-boréal.

Du fait de ses influences boréales, c'est la région la plus froide de la Pologne.
La couche de neige couvre le sol du 24 novembre au 5 mars voire même de mi-octobre à la fin du mois d'avril. L’année dernière par exemple, la neige était encore présente à la mi-avril !

Afin de mieux nous situer, les diagrammes ci-dessous présentent l'évolution de la température mensuelle au cours de l'année,  à Bialowieza (figure de droite) et celle de Leuglay, commune de Côte-d'Or (figure de gauche) :


Source : Climate-data.org

La différence entre Leuglay et Bialowieza se concentre essentiellement dans les températures les plus froides de l’année : lors du mois de Janvier il fait en moyenne +1.3 °C à Leuglay, alors qu’à Bialowieza la température est de -5.0 °C !
En revanche, les étés sont relativement similaires avec une température moyenne de l’ordre de 18°C.

Mais alors, qu’est-ce que ça implique sur les communautés végétales ?

Déjà, on observe davantage d’espèces (faune ou flore) qui se sont adaptées à une période de végétation réduite (moins de temps pour pousser), à des hivers rudes (températures négatives fréquentes), et à un manteau neigeux qui reste longtemps.
D’après M. Falinski, ancien directeur de la station géobotanique, la faune et la flore qui composent la forêt de Bialowieza expriment très clairement un caractère de transition entre deux grandes zones climatiques :



 


La carte ci-dessous situe bien la forêt de Bialowieza à la limite de ses deux aires d'influence :

Source : Falinski, 1996.

De façon plus concrète, on remarque très vite l’absence du Hêtre, pour lequel les températures hivernales sont trop faibles.
D’autres essences qu’on a l’habitude de côtoyer en France sont en limite d’aire de répartition : le chêne sessile (Quercus pertraea) , le sapin (Abies alba) ou encore le lierre commun (Hedera helix).
 Enfin, pour le moment...

mercredi 2 avril 2014

Rencontre inattendue avec une harde de bisons !

Alors que nous nous préparions à démarrer une nouvelle journée de relevés dans la forêt gérée de Bialowieza, Maléna et moi avons eu une surprise... de taille !

En effet, nous étions embarqué dans notre véhicule tout terrain, nous avons d'abord aperçu un bison mâle sur la route.


Le premier bison aperçu depuis la voiture
Jusque là, rien d'extraordinaire. Sauf qu'en réalité, ce bison n'était pas un mâle isolé, comme nous avions pu en voir un quelques jours auparavant.
Non, il s'agissait en réalité d'un troupeau entier de bisons !

Certains bisons nous fixaient, dubitatifs
Ils étaient 26 au total, selon le technicien de la station. Nous avons même pu voir des jeunes !

Voir un tel groupe est très rare à cette période de l'année. En effet, les bisons n'ont l'habitude de rester ensemble et de former de grands groupes qu'en hiver. Ils se regroupent autour de zones offrant le maximum de nourriture pendant cette période de disette.
Dans la forêt de Bialowieza, les bisons se rassemblent autour de refuges installés par les gardes du Parc National. Ces refuges assurent une alimentation continue des bisons pendant l'hiver, grâce à du foin récolté dans l'année. Bien qu'artificiel, ce dispositif permet de viabiliser une population déjà fragile (voir l'article précédant sur le bison de Bialowieza pour en savoir plus en cliquant ici ).

Avec l'arrivée du printemps, les bisons se séparent. Ils forment alors de petits groupes au sein desquels les femelles terminent le vêlage et démarrent l'allaitement des petits de l'année.

Cycle de vie du bison d'Europe (Bison bonasus) dans la forêt de Bialowieza

Coup de chance donc, décidément !